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La traduction de l'oeuvre de Sigmund FREUD par Janine ALTOUNIAN

Janine ALTOUNIAN

Le Billet à Claudine

Comment lire Freud?

Quelle séance, jolie cousine, que cette séance du 20 avril 2008, à DireLire, qui vit Madame Janine ALTOUNIAN, traductrice de FREUD, maintenir sous le charme de ses professorales explications une assistance médusée!

Qui aurait pu jamais croire, Claudine, qu'il était aussi difficile de traduire Freud? Toutes mes naïves certitudes sur la pureté et l'innocence des textes français, alors lus jusque-là sans malice, ont fondu comme neige au soleil et tu me vois désemparé devant l'immensité du naufrage.

Car sais-tu, savante cousine, que la libido, décidément, n'est plus ce qu'elle était! Ni le "çà" ni la pulsion, ni l'inconscient.

Passées à la moulinette étymologique et soumises aux filtres latins et germaniques, toutes ces notions, en effet, ne sont plus que miettes et débris. "Mais alors que lit-on?" s'est exclamée dans l'assistaance une participante excédée...

Et c'est bien là toute la question, Claudine. Les comparaisons effectuées en séance entre différentes traductions ont mis en évidence des contresens fâcheux et jusqu'à des abîmes d'incompréhension.

Alors qui dit vrai?

Et quel Freud lisons-nous?

Il se serait certes bien amusé à nous entendre et n'aurait pas manqué d'en tirer de pertinentes conclusions quant à nos secrets refoulements.

Mais nos consciences furent tout de même apaisées par la pertinence des analyses de Madame ALTOUNIAN dont chaque proposition nous apparut comme le résultat d'un travail appuyé sur une haute compétence et validé par une solide réflexion collective.

C'est donc réconcilié quelque peu avec la psychanalyse qu'est reparti dans le soleil d'avril, l'inconscient légèrement cabossé, ton incorrigible cousin FLORENTIN

 

Michel BOUDIN

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Quand Freud s'embarqua pour les États-Unis, en 1909, avec quelques-uns de ses proches, ce n'était pas en apôtre d'une bonne nouvelle mais bien plutôt en vecteur d'un nouveau mal : "Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste", aurait-il confié, durant le voyage, à Ferenczi et Jung. La psychanalyse avait déjà commencé, sur le vieux continent, à faire scandale avec l'hypothèse de l'inconscient et l'idée d'une sexualité infantile. Depuis son foyer viennois, elle se répandait comme un corps étranger suscitant irritation et rejet souvent fiévreux. C'est pourtant avec sympathie et intérêt que les prestigieux ambassadeurs de la psychanalyse furent accueillis sur le sol américain. Dans ces cinq conférences qu'il prononça à la Clark University, aux États-Unis (Massachussetts), en 1909, Freud s'adresse à un public de jeunes psychiatres et psychologues qui ignorent à peu près tout de ses travaux. Le style et le ton du propos sont donc particulièrement clairs et didactiques, trop peut-être si l'on en juge d'après ce que l'Amérique fit de la psychanalyse. Ces leçons constituent un résumé concis de l'état du savoir freudien en 1909, après la publication de L'Interprétation des rêves (1900) et des Trois Essais sur la théorie sexuelle (1905) : les travaux sur l'hypnose et l'hystérie, en collaboration avec Breuer ; la découverte de l'inconscient ; le rêve ; la sexualité infantile ; le transfert et la sublimation ; les pulsions…

Cet ouvrage marque une étape importante dans l'histoire du mouvement analytique : dès l'année suivante, en 1910, sera fondée la Société internationale de psychanalyse. La lecture des Cinq leçons sur la psychanalyse nous livre donc l'éclairage sous lequel Freud voulut présenter officiellement son savoir au monde entier.

 

Cette séance sera l'occasion d'évoquer le problème de la traduction des oeuvres littéraires à travers l'expérience de Janine ALTOUNIAN, traductrice de Freud et auteur de "L'écriture de Freud" (Presses Universitaires de France)

Il aura fallu attendre près d'un siècle pour que Freud soit traduit, en France, de manière rigoureuse et systématique. Janine Altounian fait partie de l'équipe des Presses Universitaires de France qui, depuis maintenant plus de vingt ans, s'est attelée à la tâche monumentale de la publication des œuvres complètes du père de la psychanalyse. C'est à sa grande expérience du texte freudien qu'elle donne la parole dans son ouvrage. Non pas pour faire le plaidoyer des critères de traduction de son équipe mais pour dire, autrement que dans la réserve discrète du traducteur, son amour de la langue freudienne.

Les analyses et les mises au point proposées ne sont pas de simples exercices germanistiques : elles ont pour vocation de nous rappeler que nous ne lisons pas Freud dans son expression originelle, que s'interposent entre les subtilités de sa pensée et ce que nous en lisons le prisme de choix syntaxiques et lexicaux dont il est indispensable d'être conscients.

Comme le dit le vieil adage italien, traduire, c'est toujours un peu trahir. Il faudrait additionner toutes les bonnes traductions possibles d'un texte pour obtenir la meilleure. C'est dans les interstices de ces versions possibles que Janine Altounian nous fait circuler et découvrir, au passage, un Freud méconnu.

Le livre de Janine Altounian, est avant tout une étude de la langue de Freud et se démarque de ce que l'on appelle habituellement une "critique des traductions". Il ne cherche pas à affirmer la suprématie de tel ou tel modèle traductif. Il est une critique de la "naïveté" de certains lecteurs quant à l'enjeu du passage d'une langue à l'autre, d'une culture à une autre, d'un système de pensée à un autre, donc à ce qui disparait dans ce passage. "Traduction = Trahison ?"

En réalité l'auteur cherche essentiellement à mettre en lumière comment, dans l'écriture de Freud, la forme des énoncés de pensée visualise l'argument que développe la pensée en train de décrypter le sens inconscient d'un processus psychique. On pourrait dire, comme pour la poésie, que le style crée l'objet.

Ce recueil fournit de nombreux exemples où morphologie et syntaxe s'allient pour engendrer, dans la complexité du langage, l'empreinte de la complexité psychique. De nombreuses références au texte freudien sont reprises en texte original avec une ou deux versions de traduction.

Ce "manuel de langue freudienne à l'usage des simplificateurs" (pourrait-on dire ironiquement) offre ainsi une multiple lecture : consultation, discussion dans le cadre d'un apprentissage à la traduction, réflexion sur les questions abordées au carrefour de diverses disciplines (linguistique, poétique, traduction, psychanalyse, philosophie...)

 

Un site assez riche sur Freud