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"La langue du Troisième Reich " de Victor KLEMPERER

 

« L.T.I. Lingua Tertii Imperii, la langue du IIIe Reich » de Victor KLEMPERER (l881-1960)

Monique BECOUR

Paulette Queyroy. germaniste, nous faisait découvrir ce jour l'écrivain Victor Klemperer, né en 1881 à Landsberg fils de rabbin et cousin du célèbre chef d'orchestre Otto Klemperer. Philologue, spécialiste du XVIIIe siècle en littérature française et italienne, il enseigne à l'Université de Dresde. Il est féru des rationalistes et déteste le populisme. Dès l933, il a une haine viscérale du nazisme ; il commence à rédiger son Journal et avec sa femme Eva, musicienne, non juive, très proche de lui, il s'achète une maison, mais en l935, comme juif, il est destitué de son poste par les nazis, échappe à la déportation en raison de l'origine de son épouse, mais est assigné à résidence avec elle dans une « Judenhaus ». Il continue à étudier le XVIIIe siècle, mais, interdit de bibliothèque, ses recherches se restreignent malgré l'aide d'Eva qui continue à sortir des livres pour lui de diverses bibliothèques. Après le premier bombardement de Dresde, il est interdit d'écriture et Eva, tous les trois ou quatre jours, porte son travail de notes chez des amis sûrs, à la campagne.

En 1941, requis pour le travail obligatoire en usine, il ne cesse de tout noter : les articles de journaux, les affiches, les lettres, les faire-part de naissance, de décès, la manière dont les livres étrangers sont traduits en allemand, la conjonction des mots, comment tel nom est associé à tel adjectif, donc il réunit un énorme corpus, de 300 à 600 pages car en même temps, il écoute et note toutes les conversations entendues et les discours par haut-parleurs.

A partir de 1933, il commence la synthèse de chapitres succédant aux chapitres de notes rédigées. Son idée est «  que la langue fait la pensée. Si l'on veut prendre le pouvoir sur les gens, on utilise les mots ».

Il se sent obligé d'être la mémoire écrite : «  Je ne peux pas ne pas le faire, je me dois de faire cela. Personne ne peut le faire pour moi . Je dois témoigner car si je ne le fais pas, tout cela va se perdre. Malgré tout, j'arrive à être parfaitement heureux, j'étudie, je pose les jalons de ce que sera mon œuvre  ». Travail quotidien anéantissant, au jour le jour, de plus il risque la vie de ceux dont il parle car il ne modifie pas les noms malgré les recommandations d'Eva.

«  Il n'y a que moi qui peut témoigner de ceux qui ont vécu, qui partent en déportation à Auschwitz ou ailleurs » Il les quitte en leur disant  : Ne t'inquiète pas, je parlerai de toi  » !...  Dans la nuit du 13 au 14 Février a lieu le grand bombardement de Dresde : il a reçu commandement la veille de se présenter à la Gestapo. Sauvés tous deux, ils se mettent à errer en Allemagne. Dès Juillet 1945, ils récupèrent leur maison épargnée et lui, son poste de Professeur à l'Université de Dresde, mais sous domination russe (russes antisémites à leur tour). Dès Juillet 1945, il est obligé de choisir d'entrer dans un parti politique : il choisit le Parti communiste. Son « journal » est rédigé de 1933 à 1945 sans aucune interruption et est publié en 1947 en R.D.A. à Dresde, à l'Est d'où il ne passe pas à l'ouest en R.F.A. Il n'y sera publié et lu qu'en 1995, épuisé dès chaque publication, traduit en français en 1996. Il s'agit d'une œuvre à part qui a fait beaucoup de bruit.

Cette rédaction sur la langue nazie est un énorme travail d'observation, de philologie sur le sens différent que prennent les mots. «  Tu te définis dans ta langue, et comme il y a rétrécissement de celle-ci (édulcorée), elle devient langue et pensée uniques, formatées » . Il dit ce qu'il ne veut pas être et la perversion de la nouvelle langue. «  La langue n'est pas la Patrie  ». Un auditeur a insisté  sur le fait que le rétrécissement du vocabulaire et du sens du vocabulaire rétrécit l'alemanité.

Paulette a beaucoup éclairé la vie de ce couple, d'Eva, épouse non juive qui a tout abandonné pour lui, a pris beaucoup de risques pour son œuvre, entièrement dévouée. Il le lui rend bien, car malade, alitée, la nuit, il lui lit Montesquieu et les philosophes français.

Juif d'origine, son rapport au judaïsme est inexistant, aucun intérêt pour aucune religion, ni pour l'hébreu, ni pour les fêtes juives. Ses frères étaient baptisés comme sa femme (protestantisme). Il paye ses impôts obligatoires aux églises, 50% à l'église protestante, 50 % à l'église juive. Eva, pas plus que lui ne présente d'intérêt pour la religion.

Germaniste, il n'acceptait pas les discriminations entre allemands du Nord ou du Sud, ni entre Juifs ou allemands. Plus tard, il pensait Israël capitaliste comme les américains. Dès l942, il écrit « Je suis allemand et j'attends que les allemands reviennent. Même si je devais haïr l'Allemagne, je serai toujours allemand. » Sonia Combe dans sa Préface écrit « Il défend pied à pied cette identité allemande qu'on lui dénie avec une vigueur qui n'a d'égale que celle avec laquelle, il rejette l'identité raciale qu'on lui impose. On veut faire de lui un Juif qu'il n'est plus et personne, pas même les nazis, ne parviendra à le faire revenir sur son choix »

Klemperer dit encore «  J'aime la Raison du XVIIIe siècle, le raisonnement  ».

Notre auditoire avait été subjugué par ce livre et les questions et commentaires ont fusé de toutes parts, car certains pensent qu'actuellement, nous avons en France une certaine dérive. Jean Courdouan a pris comme exemple, une émission récente : « C' dans l'Air » dans laquelle lors d'un débat actuel sur la récidive, un Juge présent sur le plateau de télé, poussé un peu par l'animateur a déclaré sur « Récidive, laxisme ou Répression » :

« Il me semble qu'en France, actuellement on ne veut plus traiter de questions complexes . »

Pour un autre lecteur il semble que Klemperer, après guerre, soit entré dans le mécanisme de la R.D.A. notamment au moment de la mort de Staline, qu'il aurait pu mener une étude comparative avec la langue de bois stalinienne.

Pour Claude Simonot notre philosophe, il semble que le fascisme, non pas en tant qu'idéologie mais comme façon d'être, peut être considéré comme maladie endogène et congénitale comportementale. « On tire des bords  » dans la façon de penser donc pathologie surréaliste » selon lui. Notre assemblée, a en partie, refusé, le mot pathologie. Notre ami rend hommage aux étudiants résistants allemands qui ont servi dans les commandos marines anglais.

Un autre auditeur Gilbert a éclairé la République de Weimar qui précède le nazisme, ses sentiments profonds, la construction intellectuelle par rapport au germanisme, au Romantisme des grandes mythes anciens, à la Nature, à l'idée de Dieu, à l'enracinement dans le sol. J'ai, pour ma part, évoqué le culte de l'homme fort, le jeune sportif du gymnasium, beau, qui a donné naissance à ce logo : l'homme nu, bras ouverts, inscrit, dans un triangle et dans un cercle. Notre amie a insisté (dans le contexte historique) sur « L'homme qui a des racines, or le Juif n'a pas de racines et donc, devient l'ennemi principal dans lequel l'antisémitisme prend racine » Notre discussion portant sur les racines du nazisme.

Jean Pierre Queyroy s'est exprimé par rapport à «  la germanité au XIXe, et à l'ancien culte à Schiller, à Goethe que Klemperer vénérait. L'importance et l'obsession prise pour le XVIIIe, notamment pour le théâtre de Diderot. Les allemands cultivés imprégnés des valeurs universelles de la culture française et européenne ».

Jean Courdouan rebondit sur «  un débat actuel en France concernant la remise en cause des « Lumières » comme étant la source des régimes tortionnaires au XXème siècle, donc batailles idéologiques actuelles ».

Pour beaucoup d'allemands de cette époque, seule existait la croyance au Führer. Ils le disaient et certains allemands de 90 ans le disent encore «  Je croyais au Führer  ».

Dans la langue L.T.I ., le mot «éternel», ainsi que le mot «radieux» ou «solaire» prennent un sens spécial, l'ultime fardeau, le superlatif, le début du divin, de l'éternité » , insiste Paulette.

En conclusion, notre amie était elle-même radieuse, très satisfaite de son auditoire pris par le livre. « C'est une aventure humaine exceptionnelle, jour après jour, en courage, qui remonte le moral car tellement d'insignifiants nous entourent , » poursuit-elle : «  Klemperer est la source de tous les travaux intellectuels sur le pouvoir de la langue, admirablement écrit, une lucidité, une faculté d'analyse, un pouvoir de synthèse phénoménal, travail de douze années.  » Il vous reste à découvrir « L.T.I. la langue du IIIe Reich.